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Penser la ville contemporaine:

Les infrastructures vertes

Par Daniel Vinet

Les preuves scientifiques s’empilent et toutes indiquent que les changements climatiques observés actuellement sont la plus grande menace à notre bien être culturel et économique. Malgré certaines contestations de l’existence même de ces changements, le fait que le cadre bâti humain ait contribué à modifier certaines parties des écosystèmes naturels de la planète reste en soi une prémisse de base implacable dans le but de sensibiliser les villes aux bonnes méthodes de gestion d’aménagement de leur territoire. Les interventions du type infrastructures vertes « i.v. » pour gérer les eaux pluviales se sont montrées de plus en plus populaires auprès des villes aux prises avec de graves problèmes environnementaux telle que Seattle aux Etats-Unis. Elles sont perçues comme étant « une réponse efficace aux changements climatiques projetés » . Une analyse synthétique de textes plaidant pour la cause environnementale permettra d’éclairer les enjeux philosophiques, techniques et culturels derrières l’adoption de moyens pouvant améliorer la gestion de cette ressource naturelle dans les villes d’aujourd’hui.



Les motivations derrières l’utilisation des techniques d’infrastructures vertes proviennent à priori de solutions pratiques à court terme pour faire face à un enjeu à long terme. Il est alors intéressant de revisiter un des pionniers du concept de planification écologique, Ian McHarg et de son anecdote concernant sa rencontre avec un recherchiste effectuant une expérience sur la survie en espace. Cette expérience illustre avec simplicité la philosophie à long terme de la pensée environnementale. La mise en scène est celle-ci : créer dans une capsule un cycle biologique fermé capable de supporter la vie d’une personne orbitant la planète. On y retrouve à l’intérieur une lumière représentant le soleil, une quantité d’air, une quantité d’eau, des algues se développant dans de l’eau, des bactéries et un homme. L’hypothèse est que l’homme consomme l’oxygène et expire le dioxyde de carbone; l’algue consomme le dioxyde de carbone et expire de l’oxygène. Un cycle fermé d’oxygène et de dioxyde de carbone est assuré. L’homme boit de l’eau et urine dans l’eau où se trouvent l’algue et les bactéries; l’eau est consommée, transpirée et condensée par l’algue; l’homme boit alors la condensation et un cycle fermé d’eau est assuré. Lorsqu’il a faim, l’homme mange l’algue, la digère et la défèque. Subséquemment, les décomposeurs réduisent les excréments dans des formes utilisables par l’algue qui ensuite grandit et se multiplie. L’homme mange alors plus d’algue et une chaîne alimentaire est créée. La seule énergie importée dans le système est la lumière représentant le soleil et la seule exportée est la chaleur. Les résultats de cette expérience ont permis, malgré son échec en moins de 24 heures, d’expliquer de façon pragmatique les relations entre les organismes présents dans la nature soit la sortie de l’un est l’entrée de l’autre. De plus, la théorie évolutive semble démontrer que la présence de l’homme au sein de cet écosystème serait parasitaire à la plante. En effet, si nous tenons compte de la chronologie théorique, les hommes et les animaux sont de grands consommateurs d’oxygène mais leur présence dépend en partie de l’existence de cette molécule produite par la plante. En somme, la prémisse derrière l’utilisation des méthodes d’infrastructures vertes est que l’humain ne puisse pas subsister dans le futur sans cet écosystème. Il devrait donc, dans une philosophie à long terme, éviter d’enfreindre aux processus naturels dans le développement de son cadre bâti.



« Let us ask the land

where the best sites are »

(McHarg, 1969)



Cette pensée écologique ne fait que prendre forme dans les villes du 21e siècle et celle-ci conscientise souvent les citoyens suite à des problèmes environnementaux alarmants. Tel fut le cas de Seattle lorsque deux types de saumons furent placés sur la liste des espèces en dangers par le gouvernement fédéral à la fin des années ’90, une conséquence directe de l’altération massive des cours d’eau dans l’état du Washington. Un effort, souvent appelé « retrofit », subsiste depuis ce temps afin de restituer l’hydrologie naturelle des lieux en remplaçant aux endroits appropriés les réseaux d’aqueducs traditionnels par des systèmes de bio-rétention et bio-filtration. Voici la problématique :



Le concept des systèmes traditionnels est de la canaliser l’eau de pluie récupérée des surfaces imperméables urbaines et de la redirige au moyen de tuyaux souterrains vers les plans d’eaux avoisinants. Plusieurs conséquences environnementales sont associées à cette méthode :



• L’augmentation du volume d’eau dans les rivières lors de période de pluie contribue à l’érosion des berges ainsi qu’à d’autres formes d’érosion d’origine humaine. Il devient alors difficile de contrer et de prédire les conséquences de cette situation créée artificiellement. Les formes que l’on trouve dans la nature telles que les lacs, les rivières et les vallées ont été façonnées à travers des millions d’années et leurs localisations sont spécifiques au site. La bio-rétention occasionne alors un délai et une distribution uniforme dans les cours d’eau naturels.



• Les méthodes traditionnelles contournent également un procédé naturel fondamental lié à la perméabilité des sols. En effet, ces systèmes canalisent les eaux parfois contaminées sans procédé de filtration adéquat. Les plans d’eaux avoisinants et par conséquent les systèmes écologiques se trouvent alors perturbés par des intrants  auxquels ils ne sont pas adaptés.  La bio-filtration permet un acheminement lent des eaux dans le sol où habitent des bactéries tel que les décomposeurs. Tel que mentionné, ces bactéries peuvent alors décomposer les structures moléculaires de certains intrants, néfastes sous leur forme originale, et les rendre par la suite utilisables aux organismes des habitats naturels, améliorant ainsi la qualité de l’eau.



Le  « Seattle Public Utility » fut un acteur majeur dans l’implantation de ces principes. Il développa un programme nommé « The Street Edge Alternative ». L’expérience consiste à créer un nouveau modèle de rue intégrant les différentes techniques d’infrastructures vertes. Le site de la 2nd avenue fut désigné grâce à l’intérêt exprimé par ses résidents. Le design urbain de ce secteur intègre alors plusieurs éléments :



• La largeur de la rue fut diminuée à 14 pieds afin de réduire la surface imperméable de 11% (SPU 2001), et prit une forme curviligne afin de réduire la vélocité de l’eau pouvant créer l’érosion des infrastructures vertes en périphéries. Ce design permet également de réduire la vélocité des automobiles et par le fait même augmente la sécurité des résidents.


• Les trottoirs normalement surélevés longeant la rue furent abaissés pour permettre le ruissèlement de l’eau vers les bassins de verdure permettant ainsi la bio-rétention et la bio-filtration de l’eau. L’abaissement des bordures de béton permet également aux véhicules d’urgence d’accéder aux propriétés en tout temps.


• Plus de 100 arbres et 1000 arbustes de basse hauteur furent plantés le long de cette section de rue ajoutant par le fait même un endroit agréable pour les promenades piétonnières ainsi que l’ajout d’une interface publique/privée efficace pour les propriétés.


• Certaines autres techniques ont été envisagées telles l’utilisation du béton poreux et les bassins en

cascade.



De plus, ce type d’expérience s’est avéré comme une situation gagnants-gagnants pour les villes lorsque comparé aux coûts de modernisations des infrastructures traditionnelles. Le « S.P.U. » projette une réduction de 25% des coûts grâce à la réduction d’excavation et d’entretient. Par exemple, le cas pour les infrastructures vertes au nord-ouest de l’Angleterre s’établit comme suit:



• Croissances économiques and investissements – Les entreprises deviennent plus attrayantes pour les employés devenant alors plus motivés grâce à leur entourage plus vert.



• La valeur immobilière – Les propriétés situées à proximités d’infrastructures vertes peuvent augmenter en moyenne jusqu’à 18% de leur valeur immobilière.



• Productivité – Les espaces verts à proximités des lieux de travail tendent à réduire le taux d’absentéisme.



• Tourisme – Le tourisme rural supporte 37 500 emplois au nord-ouest de l’Angleterre.



• Production agricole – Plus de 40 000 employés travaillent dans le domaine de l’agriculture au nord-ouest de l’Angleterre.


• Santé et bien-être – Les « i.v. » contribuent à réduire la pollution causant l’asthme et des problèmes cardiaques.


• Espace récréatifs et de loisirs – Les espaces piétonniers ainsi que les pistes cyclables intégrés au design urbain encouragent les habitudes de vie saines.


• Appropriation de l’espace – Les jardins communautaires et les espaces publics communs contribuent à créer un sentiment d’appartenance au sein de la communauté.


• Aménagement du territoire et biodiversité – Les « i.v. » permettent de préserver les habitats naturels vitaux et contribue à la création d’emplois reliés à leur gestion.


• Allègement de la gestion d’inondation – Les « i.v. » contribuent à alléger les pressions sur les systèmes traditionnels vieillissants des villes.


• Adaptation et atténuation des changements climatiques – L’augmentation de la verdure permet de contrer les hausses de températures dans les villes lors de la saison estivale.



Malgré les bénéfices apparents de l’implantation des infrastructures vertes dans les villes, il reste que l’enjeu critique est de « maintenir et de ré-établir les connexions entre le paysage urbain et la nature »  auprès de la population. Cette volonté se situe en majeure partie entre les pressions créées par les groupes communautaires, les groupes environnementaux et les organismes à but non-lucratif sur les villes. Un exemple dramatique de villes qui remplissent un mandat éducationnel est celui de Chicago. L’hôtel de ville s’est muni d’un toit vert de 20 000 pieds carrés comportant plus de 20 000 plantes. Le toit permet la bio-rétention de l’eau de pluie tout en procurant un habitat en évolution pour plusieurs espèces organiques : oiseaux, insectes, etc. Le pouvoir éducationnel de cette infrastructure verte fut un énorme succès : depuis sa construction, 70 toits verts firent leurs apparitions à travers la ville, contribuant ainsi à diminuer les îlots de chaleurs. De plus, avec la participation de l’organisme « Chicago Wilderness », la ville fut pionnière dans l’adoption d’un traité de conservation protégeant les oiseaux migrateurs et leurs habitats naturels à l’intérieur de la ville. La réglementation prévoit plusieurs mesures afin de maintenir et de naturaliser les espaces urbains. Ces actions de développement durable démontrent un sentiment d’appartenance entre les citoyens et leur milieu de vie.



Le sentiment d’appropriation ou d’appartenance dans les villes s’observe également au niveau des communautés urbaines. Les projets de fermes urbaines, telles que celles développées par l’organisation « San Francisco League of Urban Gardeners », tissent des liens puissants entre les résidents et les ressources naturelles de la terre. Ces fermes réussissent à créer une économie de quartier tout en valorisant les concepts techniques de développement durable. Sur place, on valorise la récupération de déchets toxiques pour l’environnement, la récupération de matériaux de construction, la vente de composte fabriqué à même le site, etc. Les produits de cette agriculture sont ensuite vendus aux restaurants haut de gamme voisins nécessitant les légumes et épices les plus frais. Certaines fermes urbaines dont St. Mary’s Urban Farm, ont des programmes qui viennent en aide aux familles à faible revenu, cultivant ainsi les liens entre les communautés sociales. Les programmes de « remise à l’origine » de l’hydrologie naturelle du site et de programme d’éducation sur le développement durable font également partie de leur programme.

Les exemples d’infrastructures vertes sont nombreux et ils sont généralement implantés dans les villes grâce à l’attribution d’une valeur aux éléments interagissant dans l’écosystème : plantes, eau, animaux, bactéries, soleil. M. McHarg a, au moyen de ses recherches, établie le concept des Systèmes d’Informations Géographiques « S.I.G » afin de qualifier les différentes interactions naturelles à l’échelle du territoire afin de nous permettre de construire plus intelligemment. Les changements climatiques tels que l’exemple des saumons de Seattle, sont une conséquence des méthodes collectives d’aménagement ignorant ce système de valeurs. Les concepts de développements durables sont de plus en plus connus et ce sera aux sociétés les plus évoluées de promouvoir ces informations. Elles devront collectivement assurer non seulement une meilleure insertion des villes au sein des relations présentes dans la nature mais également choisir les types d’écosystèmes les plus appropriés à supporter la présence des villes et de leur bâti.


Textes de références :

1. MCHARG L. IAN (1969) Designing with Nature. Garden City, N.Y. : American Museum of Natural History by Natural History Press, 197 pages

2. BEATLEY TIMOTHY (2004) Native to Nowhere. Washington : Island Press. 392 pages

3. Green infrastructure to combat climate change. North West Climate Change Action Plan. www.greeninfrastructurenw.co.uk/climatechange/

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