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Penser la ville contemporaine:

Le confort thermique dans les espaces publics urbains

Par Jessica Daoust

De nos jours, les environnementalistes ont les mêmes mots en bouche et avec raison: changements climatiques, rejet de l’accord de Kyoto, ilot de chaleur, et autres. Il est clair qu’il faut adapter nos villes et nos territoires à ces nouveaux changements. Les espaces publics extérieurs sont les premiers à souffrir de ces changements. Les gens ont changé leurs habitudes face à l’utilisation de ces endroits. Une problématique majeure est à l’origine de la désertion de ces lieux publics urbains: le confort thermique.



Il est reconnu que les espaces publics en milieux urbains peuvent contribuer à l’amélioration des relations sociales quand on accorde de l’intérêt à la qualité de leur conception. Cette qualité dépend de l’environnement physique et, bien entendu, du tissu social dans lequel s’inscrit cet espace public. Selon Marialena Nikolopoulou et Spyros Lykoudis, deux chercheurs grecs, le confort thermique se retrouve en corrélation avec les conditions microclimatiques. Par une comparaison de différents pays européens, la température de l’air et les radiations solaires constituent d’importants déterminants du confort. L’adaptation de l’humain aux saisons (changement de vêtements) présente un autre facteur non quantifiable dont il faut tenir compte.



C’est par la comparaison de deux études menées sur la conception des espaces publics selon des critères bioclimatiques qu’il sera possible de faire état de l’importance de ces critères sur le confort thermique des usagers de ces espaces publics ouverts. Ces deux recherches ont été présentées dans le cadre du projet RUROS (Rediscovering the Urban Realm and Open Spaces) qui vise à produire une base de données rassemblant des paramètres microclimatiques et des modélisations effectuées sur quelques grandes places publiques de l’Europe. Ces outils pourront être utilisés par des concepteurs qui évalueront les impacts environnementaux de leurs projets.



Un premier groupe de chercheurs composé de la docteure Marialena Nikolopoulou, Spyros Lykoudis et Maria Kikira se penche sur l’interprétation de données microclimatiques et transposées en modèles de confort thermique dans la conception d’espaces extérieurs en milieu urbain pour 14 sites répartis en Europe. C'est à partir de ces modèles qu'ils cherchent à comprendre la richesse de ces paramètres microclimatiques et leurs rôles en terme de confort des usagers.



Tout d’abord, la sensation thermique des usagers est évaluée sur une échelle de 1 à 5 (très froid à très chaud) et est représentative de ce qu’ils appellent le vote de sensation effective (ASV). La comparaison de ces données représentatives du confort thermique des usagers et des paramètres microclimatiques pour chacun des sites étudiés a révélé des liens étroits entre eux. Par exemple, l’ASV diminue en fonction de la vitesse du vent. Pour atteindre un niveau de précision supérieur, des données subjectives ont été recueillies par des interviews et ont été comparées à un indice thermique appelé Vote Prévisible Moyen (PMV), établi originalement en fonction de conditions intérieures et graduellement employé dans des études extérieures. Le PMV prend en compte les paramètres environnementaux des usagers tels que leurs habillements et leurs taux de métabolisme. En comparant l’ASV et le PMV, un grand écart se creuse entre les deux indices et les chercheurs se rendent compte rapidement qu’une approche purement physiologique  est insuffisante pour parvenir à identifier le niveau de confort des usagers des places publiques extérieures. Comment peuvent-ils développer des modèles adaptés aux études de confort pour l’extérieur ?



C’est donc par l’élaboration d’un modèle linéaire que les trois chercheurs sont parvenus à atteindre l’évaluation du confort thermique des usagers par des données météorologiques d’un lieu donné. Bien qu’ils arrivent à un certain niveau de précision dans la prédiction des conditions de confort thermique ou les paramètres personnels de chacun des usagers de l’espace public extérieur, les effets de l’adaptation physique et psychologique ne sont pas tenus en compte dans ce nouveau modèle. Les paramètres saisonniers employés dans ce dernier modèle sont la température de l’air, la radiation solaire globale, la vitesse du vent et l’humidité relative.

Ce sera par la combinaison des données saisonnières et des données primaires (ASV) qu’ils parviendront à un calcul hybride capable de prédire les conditions de confort thermique de manière complète et non uniformément. Le calcul du vote de sensation effective peut donc être utilisé par les concepteurs pour évaluer le confort thermique des usagers dans une place publique donnée. Par contre, les chercheurs recommande l’utilisation de cette formule seulement lors des premières étapes de conception pour identifier les zones problématiques de l’espace public : « Ce ne sont pas des modèles de précision permettant de justifier l’action des concepteurs […]». (Nikolopoulou et al. 2004)



Selon une tout autre approche, Dr. Koen A. Steemers et son équipe démontrent que par des techniques d’analyse d’image et sur des textures urbaines tridimensionnelles qu’il est possible de  corréler simplement les caractéristiques microclimatiques à la forme urbaine. Ce type d’analyse est avantageux dans la définition de microclimats urbains et dans la compréhension des choix conceptuels sans compromettre la qualité de l’architecture. Dans cette analyse, Dr. Steemers met l’accent sur les facteurs morphologiques qui ont une incidence sur le confort des usagers des places publiques extérieures.



Son analyse commence par la spécification d’un modèle tridimensionnel, d'un modèle d’élévation numérique, d'une carte d’occupation du sol ainsi que de données géographiques et climatiques, de cartes du facteur vues du ciel (SVF : Sky View Factor), d’ombrage solaire et d’obstruction du vent. Les paramètres considérés dans cette analyse sont : facteur vue du ciel, ombrage solaire et durée d’insolation, porosité et obstruction du vent, diversité et champs de vision environnementaux. Pour chacun de ces paramètres, une carte est produite. Les zones noircies sur chacune de ces cartes sont déterminées par les valeurs les plus faibles. Par exemple, sur une carte représentative de l’étude des vents, les zones noircies correspondent à des endroits clos, étroits ou dont l’orientation ne permet au vent de s’y engouffrer. Une carte résultante compile les données de chacune des études et fait état de la complexité des conditions environnementales différentes pour un site donné. Ces cartes peuvent être produites pour tous les climats, sites ou saisons. Ce type d’analyse peut atteindre des niveaux de complexité importants ou de simplicité, par exemple dans le cas d’une étude pré-conceptuelle.



Dans une quête du détail, Dr Steemers et son groupe de chercheurs affinent la recherche par un classement  des différentes combinaisons environnementales à la manière de Brown et DeKay. Ces deux auteurs proposent dans leur livre Sun, Wind, & Light : Architectural Design Stategies un ensemble de valeurs recommandées pour diverses variables microclimatiques qui ont été classées par climat et par saison. En fait, ces valeurs représentent des points accordés selon les situations. Par la compilation des pointages selon des profils environnementaux, ils réussissent à obtenir des scénarios positifs ou négatifs et, par conséquent, à concevoir des espaces publics et une morphologie urbaine propice au confort thermique des usagers. La classification a été adaptée à la présente analyse pour y ajouter le ciel ainsi que le couvert nuageux, et c’est de cette façon qu’ils ont pu générer une première classification. Par exemple, un scénario positif pourrait être (soleil + vent + facteur vue du ciel = 1 sur une base annuelle) et un scénario négatif pourrait être (ombrage + vent + ciel couvert = -2 sur une base annuelle).



C’est seulement après cette compilation que l’on considère l’usager de la place publique urbaine. À partir des résultats de l’analyse, le degré de confort des usagers des différentes parties de l’espace public extérieur est déterminé selon une base annuelle et saisonnière. Ces cartes proposent donc d’identifier les zones propices ou problématiques en vue d’un développement de celles-ci. Dr Steemers conclut son analyse en affirmant que l’atteinte de conditions thermiques optimales en milieu urbain demeure secondaire, mais qu’il faudrait accorder une plus haute priorité au succès  de l’environnement urbain en terme de diversité. De cette manière, on maximise la diversité, les possibilités de choix en relation avec le climat, les activités et les préférences des usagers.



Ces deux approches visant l’évaluation du confort thermique des espaces publics urbains font état uniquement de ce qui peut être quantifié. Les deux groupes de chercheurs visent à atteindre leurs objectifs selon des paramètres quantifiables de l’usager qui ne sont pas représentatifs de la réalité vécue. Dans un premier temps, le confort des usagers est identifié selon une échelle d’appréciation et on écarte les paramètres personnels de l’usager. Dans un second cas, on cherche à optimiser opportunités en se disant que plus il y a de possibilités plus les gens y trouveront leur compte. Il est certain que la vision du second groupe de recherches semble plus plausible que le premier grâce à sa diversité qui rejoint le plus grand nombre, mais il est important de prendre en compte les paramètres personnels de l’utilisateur de la place publique urbaine.



En effet, une approche quantitative n’est pas suffisante pour confirmer ces observations. Pour bien expliquer le phénomène de confort, il faut combiner ces approches quantitatives avec le facteur d’adaptation psychologique de l’être humain. Par adaptation, on sous-entend ici : la nature, les attentes, l’expérience (court et long terme), le temps d’exposition, le contrôle des perceptions et les stimulants de l’environnement, et autres. Il s’agit de comprendre les relations de ces facteurs avec les facteurs quantitatifs afin de réussir à établir de nouveaux paramètres de conceptions des espaces publics urbains. Ces conditions influencent le comportement des gens dans l’espace public et leur usage de celui-ci. Il serait donc possible de leur assigner pour chaque paramètre un rôle précis dans le design d’une place publique dans le but d’enrichir les possibilités de création.



Par une étude de comportements effectuée au centre de la ville de Cambridge (Royaume-Uni), des membres du Martin Centre for Architectural and Urban Studies établissent ce lien étroit entre le confort des usagers et l’utilisation d’une place publique. Dépendamment de la saison, de l’ensoleillement ou du moment de la journée, les gens changent de trajectoires ou ne s’installent pas aux mêmes endroits.

« Outdoor spaces present few constraints. People sit there by their own free choice. They are there because they want to feel the warm sun rays and fresh air, and look at other people, while they are having their lunch for example. Environmental stimulation is therefore important. The degree to which they want to charge up their body with heat and fresh air is important, especially when considered in combination with a person’s thermal history, i.e. whether before they were working in an air-conditioned office.» (Nikolopoulou et al. 2001)



Dans une recherche menée de concert, les docteurs Nikolopoulou et Steemers ont révélé que l’adaptation psychologique devient importante dans la détermination du confort dans les espaces publics extérieurs malgré le fait que les paramètres microclimatiques influencent grandement la sensation thermique. Au cours de cette recherche, ils se sont penchés sur les paramètres de l’adaptation psychologiques énumérés un peu plus haut.



Bien qu’il soit impossible de quantifier les effets des paramètres et que le poids de chacun soit inconnu, les docteurs tentent d’évaluer l’impact relatif des différents paramètres ayant une portée sur le confort thermique. Ils affirment donc que la compréhension des relations entre les divers paramètres de l’adaptation psychologique serait intéressante dans le but de comparer leur importance relative et ainsi obtenir leur rôle en terme de design. Ils créent alors un réseau de relations entre les divers paramètres illustrant les influences entre chacun. Par exemple, les expériences passées sont influencées par la stimulation environnementale et le contrôle perçu, mais elles influencent les attentes et le contrôle perçu. Les liens entre les différents paramètres sont compilés dans un tableau. Pour chacun des paramètres, ils ont écrit le nombre de liens «qui influencent un paramètre» et le nombre de liens «qui sont influencés par un paramètre». Malgré la complexité des interrelations ci-dessus, il est possible de considérer, sans être déterministe, ce qui aurait un impact sur les autres paramètres au-dessus. Cela aura donc comme effet d’augmenter la plage des paramètres de l’adaptation psychologique et, par conséquent, l'élargissement de la gamme de conditions environnementales considérées comme confortables. Les concepteurs d’espaces publics extérieurs devraient considérer ces nouveaux paramètres, non pas comme limitation à leur travail, mais comme outil de référence enrichissant les possibilités de création de nouveaux espaces.



En somme, il est donc possible de voir combien la question du confort thermique dans les espaces publics extérieurs est complexe. L’approche quantitative, bien qu’elle soit une forte influence des sensations thermiques, ne peut être représentative du confort thermique à elle seule. Elle ne représente que la moitié de la question. L’autre moitié doit être traitée par l’interprétation des paramètres psychologiques des usagers envers l’espace public extérieur.



 

De nos jours, non seulement nous assistons aux changements climatiques et à leurs conséquences sur l’usage des places publiques urbaines, mais nous sommes les pionniers du numérique. Il n’est pas rare d’entendre de plus en plus parler de la conception paramétrique (Rhinoceros, et autres). Elle est en vogue dans plusieurs bureaux d’architectes. Considérant que l’on utilise les paramètres quantitatifs de base du confort thermique et que l’on attribue des valeurs représentatives de l’adaptation  de l’homme dans l’espace, ne serait-il pas possible de concevoir de nouveaux espaces publiques dans un but de maximisation du confort de l’homme ? Serait-ce une nouvelle voie à emprunter pour les années à suivre, au fil des changements climatiques ? Il est fort possible que cela puisse fonctionner. Par contre, il reste que la cause de ces changements demeure le résultat de la transformation de nos ressources par l’homme. Alors, ne devrions-nous pas commencer par changer nos habitudes, la manière dont nous concevons nos villes et inclure des systèmes peu nocifs sur notre environnement ?

Textes étudiés :

1. NIKOLOPOULOU, MARIALENA, NICK BAKER ET KOEN STEEMERS. Thermal comfort in outdoor urban spaces : understanding the human parameter, Solar Energy Vol. 70, No. 3, pages 227-235, 2001.
2. NIKOLOPOULOU, MARIALENA ET AL. Modèles de confort thermique pour les espaces extérieurs en milieu urbain, Centre for Renewable Energy Sources (CRES), pages 2-7, 2004.
3. STEEMERS, KOEN A. ET AL. Modèles de confort thermique pour les espaces extérieurs en milieu urbain, Centre for Renewable Energy Sources (CRES), pages 20-25, 2004.
4. NIKOLOPOULOU, MARIALENA ET KOEN STEEMERS. Thermal comfort and psychological adaptation as a guide for designing urban spaces, Energy and Buildings Vol. 35, pages 95-101, 2003.



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